
Démarche artistique
La forme. L'ombre. Le reflet
Substituant le verre à la toile, j’ai fait de l’ombre la matière première de mes travaux.
Explorant les notions d’ambiance, d’élucidation et d’ambiguïté, j’ai forgé le concept poétique d’Entre-là, que je mets à l’épreuve dans mes installations, volumes, protocoles à activer, créations textuelles et sonores.
Si ma recherche emprunte à la grammaire minimaliste, c’est pour en déplacer les enjeux. L’épure y devient un prétexte à mettre en scène ombres, échos et reflets — ces impressions fugitives* qui signalent, par leur surgissement, le terrain dont elles émergent : l’ambiance, telle que conceptualisée par Bruce Bégout.
Plus profondément encore, ma quête d’élucidation s’enracine dans un vécu ancien : celui d’un réel altéré dont il a fallu reconstruire les contours à partir de ce qui restait — une tonalité, un détail, une ombre.
Quant à mon attrait pour l’insaisissable, il trouve sa source dans mon expérience intime de la disparition et dans mon aphantasie, une atypie cognitive empêchant de générer des images mentales, des souvenirs visuels, et qui favorise chez moi l’émergence d’une conscience aveugle, attentive à l’imprévisible dont le langage du réel est tissé.
Affirmé, direct, autant qu’il est apophatique, mon langage plastique s’appuie sur des matériaux et des formes jouant le rôle d’interfaces entre présence et absence. Avec les volumes — ajourés ou augmentés — comme avec le verre, à la fois invisible et tangible, j’explore la possibilité de présenter ce que l’on peine à se représenter. Ainsi, tout ajout a pour seule vocation de faire apparaître un creux. Toute forme devient une zone d’instabilité — composée d’ombre ou de reflet — où les variations s’apprivoisent dans l’espace et le temps, démultipliant les niveaux de lecture.
Sous sa rigueur formelle, ma proposition laisse place au trouble, incitant chacun à interroger ce qui lui échappe. Le regard, mis en mouvement, devient l’outil d’une lecture toujours déjouée dans ses attentes — et donc appelée à se renouveler. Car l’œuvre, en restituant notre expérience dans sa nature située, pose une question plus large : sommes-nous prêts à quitter l’espace utopique du tableau pour habiter l’espace ouvert de l’incertitude ?
* Clément Rosset, « Impressions fugitives », Paris, Les Éditions de Minuit, 2024